Le Cambodge passé et Présent |
Histoire |
Un
très Grand Royaume, autrefois puissant...
De
tous les peuples indochinois, les Môn et les Khmer sont parmi les premiers
à s'être installés dans la péninsule. Ce n'est qu'au premier siècle de notre
ère qu'une civilisation khmère se développa, sous l'impulsion d'un processus
d'indianisation très profond.
Le premier Royaume du Cambodge, le Funan des Chinois, adopta
la langue et l'écriture indiennes, le Sanskrit, les lois et les techniques de l'Inde.
Ces Rois adoptèrent la conception Indienne du Devaraja
: le Dieu-Roi.
C'est par le Cambodge que l'Hindouisme et le Bouddhisme
ont pénétré dans ce qui deviendra plus tard l'Indochine.
Le Royaume du FOU-NAN ou NOKOR PHNOM
Le Royaume Tchen-La d'Eau et Terre
Formation de l'unité Khmer
La période Angkorienne
Le Cambodge du Protectorat
Le Sangkum Reastr Niyum, la République
Khmère, le Kampuchea Démocratique, l'Etat du Cambodge et le Royaume du Cambodge
actuel
Le
Royaume du Fou-Nan ou Nokor Phnom
Le Fou-nan (Ier-VIe s. apr. J.-C.)
La civilisation néolithique (dite de Samrong Sen et de Melou Prey) va se prolonger jusqu'au Ier siècle de notre ère. Les ethnies indonésiennes et mōn qui occupaient la plaine du Mékong inférieur semblent avoir subi, dès le Ier siècle, l'influence indienne des marins et des commerçants venus des rives du golfe du Bengale. Ces Indiens (marchands, nobles et brahmanes) apportèrent à une société mōn déjà organisée, dans laquelle l'animisme et le matriarcat jouaient un rôle important, une langue avancée dotée d'une écriture (le sanskrit), et les lois de l'Inde, sans compter des techniques. Ils s'assurèrent une influence politique et économique de premier plan dans ce royaume mōn comme dans tous les autres pays de la région. Les rois mōn adoptèrent la conception hindouiste de la monarchie (celle du dieu-roi, Devaraja) et s'intitulèrent les «rois de la Montagne». Leur palais était identifié avec la montagne cosmique, le Mérou, par qui le Ciel communique avec la Terre. Se proclamant en rapport constant avec les forces célestes (Çiva, Vichnou...), ils prétendaient être les monarques de l'Univers.
Les Chinois entrèrent en relation au début du IIIe siècle avec cet État mōn qu'ils appelèrent Fou-nan. État maritime et commerçant, ce Fou-nan conclut vers 285 une alliance avec son voisin oriental, l'État indonésien du Champa. Les rois mōn affermirent leur pouvoir en réduisant à merci les vassaux turbulents. Ils surent surtout mener à bien, pendant des siècles, la construction de canaux de drainage et de collecteurs d'eaux mortes, et transformer ainsi les cloaques du delta du Mékong en terres cultivables. Leur capitale était établie non loin du Mékong, à Vyadhapura (à 200 km de la mer). Le principal port était Oc-èo, sur le golfe du Siam, dans l'actuelle Cochinchine. Les historiens chinois ont écrit que les habitants du Fou-nan étaient «laids et noirs» et qu'ils avaient les cheveux frisés.
Au Fou-nan et au Champa,
tout laisse à penser que si les classes dirigeantes avaient adopté
les religions et cultures de l'Inde (y compris le bouddhisme), les masses
restaient attachées à l'animisme primitif, au culte des ancêtres
et des esprits. D'où un continuel effort pour harmoniser ou fusionner
les divers concepts religieux en présence. Ce n'est qu'à partir
du début du Ve siècle que le pays, sur la base du fonds culturel
indien bien assimilé, va développer une civilisation originale,
mais les sources de son histoire demeurent, aujourd'hui encore, fort rares.
Les archives, s'il y en avait, ont été détruites. Restent
les monuments de pierre, et leurs inscriptions. La chronologie est confuse,
parfois douteuse.
Le
TChen-La et Le Tchen-La d'EAU (Regardez la carte)
Au début du Ve siècle, le Fou-nan fut ébranlé par l'irruption des Kambuja (fils de Kambu) ou Khmers, peuple de même souche ethnolinguistique que les Mōn, mais qui, parvenu plus tardivement en Indochine, s'était établi au nord du Fou-nan, sur la rive droite du Mékong, l'actuel plateau de Korat. Comme les Mōn (et peut-être par eux), les Khmers avaient subi l'influence indienne. Après la mort (en 514) d'un roi, le Fou-nan fait face à la révolte d'un «royaume» khmer, appelé Tchen-la par les Chinois, et qui, jusque-là vassal du Fou-nan, va alors s'émanciper. À partir du milieu du VIe siècle, les rois du Tchen-la vont peu à peu conquérir et assujettir le Fou-nan. Le roi Içanavarman († 635) établit sa capitale à Sambor Prei Kuk, au nord de Kompong Thom. Ses successeurs agrandirent encore le domaine, poussant au nord au-delà de Kemmarat, à l'ouest au-delà de Chantaboun et annexant, après avoir réduit les dernières résistances mōn, tout le delta du Mékong. Ils ne paraissent pas cependant avoir changé de système. Comme celle du Fou-nan, l'organisation politique et sociale du Tchen-la fut sensiblement à l'image de celle des États de l'Inde. Jayavarman Ier († 681) établit sa capitale à Angkor Borey (région de Takeo). Le Tchen-la entretint de bons rapports avec la Chine et le Champa.
Au début du VIIIe siècle, le Tchen-la éclata en deux États rivaux, le Tchen-la de Terre, au nord (dans l'actuel Laos) et le Tchen-la d'Eau, résurgence de l'ancien Fou-nan. Celui-ci fut le théâtre de longues disputes entre féodaux et se morcela, vers le milieu du VIIIe siècle, en cinq principautés rivales. Affaibli, il eut alors à subir de puissantes incursions malaises. Les pirates javanais, soutenus par les rois Çailendra de Java, ravagèrent en 774 puis en 787 les côtes du Champa, puis remontèrent le Mékong jusqu'à Sambhupura, une des capitales du Tchen-la d'Eau (près de Kratié), brûlèrent la ville et s'emparèrent du roi. Il semble que, pendant plusieurs années, le Tchen-la d'Eau ait été vassalisé par les Çailendra et que ses princes aient été «éduqués» ou tenus en captivité à Java.
La
Formation de l'Unité Khmère
A l'époque de Tchen-La
(c'est à dire l'ancien Cambodge), autre Etat indianisé, tente de se libérer
de la tutelle du Fou-Nan.
A la mort de Jayavarman,
en 514, l'un de ses fils, né d'une concubine, monte sur le trône en faisant
assassiner l'héritier légitime. Un parent de ce dernier, Bhavavarman, s'enfuit
au Tchen-La et épouse la princesse héritière. Par ce mariage, Bhavavarman
devient Roi du Tchen-La. Dans la seconde moitié du VIe siècle, Bhavavarman,
aidé par son frère Citrasena, entreprend la conquête du Fou-Nan.
Le Royaume du delta,
affaibli par les inondations catastrophiques du Mékong et par les épidémies,
n'oppose aucune résistance. Dès la fin du siècle, la majeure partie du delta
du Mékong est occupée. La dynastie de Fou-Nan doit se réfugier dans l'île
de Java, une des possessions du Royaume du temps de sa grandeur.
L'unification du Tchen-La
et du Fou-Nan largement amorcée, Bhavavarman agrandit son territoire vers
le Nord, le long du Mékong, vers l'Ouest et enfin vers l'Est, aux dépens du
Champa, l'autre puissant Royaume de la péninsule. Cependant le fait majeur
de ce règne demeure
le début d'unification du Tchen-La et du Fou-Nan. De
cette fusion naîtra le Cambodge.
La période Angkorienne (l`Empire khmer)
La monarchie
Un de ces princes, revenu au Cambodge vers l'an 800 après avoir reçu une éducation à Java, réussit à rallier les principautés khmères et à secouer le joug des Malais. Il se proclama roi en 802 sous le nom de Jayavarman II et installa sa capitale cette fois loin de la mer et du Mékong, dans la région du Phnom Kulen, au nord du Grand Lac. Rejetant la suzeraineté de Java, il restaura le culte du dieu-roi, dont le symbole était le symbole même de Çiva, le linga. Il régna jusqu'en 850. Indravarman (877-889) réalisa l'unité de l'ensemble du Tchen-la d'Eau et commença de grands travaux hydrauliques (réservoirs). Yasovarman (889-900) fonda autour du Phnom Bakheng, la capitale, Yasodharapura, qui (en se déplaçant légèrement) devait devenir la première Angkor. Il y fit construire des temples à Çiva, Vichnou et Bouddha et fit creuser le Baray oriental. Des querelles entre ses successeurs entraînèrent un déplacement momentané de la capitale à Koh Ker, mais Rajendravarman (944-968) revint à Yasodharapura et on lui doit de nouveaux temples (tel Banteay Srei, 967). Après de nouvelles luttes intestines, Suryavarman Ier (1002-1050) triompha de ses concurrents et fonda une nouvelle dynastie. Il étendit le royaume vers l'ouest. Il protégea le bouddhisme, conclut une alliance avec la Chine et le Champa. Mais son successeur dut lutter contre de nombreuses conspirations, trait permanent de l'histoire khmère. Il n'en fit pas moins creuser le grand bassin du Baray occidental et construire le temple du Baphuon. Après sa mort, une brouille intervint avec les Cham, qui firent une incursion au Cambodge (1074).
En 1080, après des années de troubles, une dynastie monte sur le trône, qui va régner durant plusieurs siècles et donner au Cambodge quelques grands rois. Ainsi Suryavarman II (1113-1150) pacifia le pays, dévasté par les guerres civiles, et lui rendit sa prospérité. Il fit construire le temple d'Angkor Vat, dédié à Vichnou, dont le roi était un adepte. Il lutta successivement contre les Mōn de Lopburi (à l'ouest), les Viet puis les Cham à l'est. Il conclut plusieurs traités avec la Chine. Une guerre de «cent ans», aux vicissitudes diverses, allait opposer les Khmers aux Cham (1130-1227 env.). C'est au cours de ce conflit que la seconde Angkor, la capitale brahmanique (Angkor Vat) fut prise et saccagée par les Cham venus par le Lac (1177), qui dominèrent le pays. Mais une guerre de libération commença et son chef Jayavarman réussit à chasser les Cham et devint roi (1181-1218). Sous son règne, l'empire khmer atteignit sa plus grande expansion territoriale: outre le «noyau» khmer qu'il administrait directement, Jayavarman VII avait réduit à la vassalité le Champa, les principautés mōn de la Thaïlande et du Laos actuels, et étendu son influence jusqu'à l'isthme de Kra et le royaume de Pagan en Birmanie.
Comme son père, il avait donné son adhésion au bouddhisme Mahayana, tout en conservant les brahmanes à la cour. Depuis des siècles, l'hindouisme (çivaïte ou vichnouite) coexistait avec le bouddhisme dans le royaume, mais la nouvelle période que constituait son règne avait vu un développement continu du bouddhisme, de plus en plus populaire parmi les humbles. Si Jayavarman VII fit construire des hôpitaux et des routes, s'il améliora encore le réseau hydraulique, son œuvre capitale n'en reste pas moins la construction de la troisième Angkor (Angkor Thom) sur les ruines de la capitale dévastée par les Cham. Le centre en fut cette fois le temple bouddhiste dédié à Avalokiteçvara, le Bayon.
Après sa mort, on assista à une réaction antibouddhiste. Jayavarman VIII (1243-1295), dès son avènement, restaura l'orthodoxie çivaïte, éliminant systématiquement les images du Bouddha qu'avaient multipliées Jayavarman VII et ses fils. Il fit aussi faire de grands travaux hydrauliques. À la fin de son long règne, Jayavarman VIII eut à faire face à des dangers extérieurs nouveaux. Menacé d'invasion par Koubilai khan, l'empereur mongol de Chine, il jugea prudent de lui offrir un tribut (1285). D'autre part, un royaume thaï s'était constitué en 1238, à Sukhothai. D'abord vassal du roi khmer, il manifesta bientôt son intention de conquérir sa totale indépendance et de s'étendre vers le sud. Pour lui résister, les rois khmers, que l'invasion mongole avait affaiblis, appelèrent le peuple à combattre, mais, au terme d'une lutte acharnée, le roi thaï Rama Khamheng finit par obtenir, vers 1295, de Jayavarman VIII la reconnaissance de l'indépendance de Sukhothai. De même, les Mōn de Lopburi (Bas Menam) s'étaient émancipés quelques années auparavant. Autour d'Angkor et de ses temples, une société avait fleuri. La culture intensive du riz, favorisée par une irrigation à partir de grands réservoirs, permettait d'alimenter une importante population. Le pays paraît toutefois avoir été affecté par l'aggravation des querelles religieuses. Il semble que la population dans sa masse et même une partie de l'élite aient évolué, depuis le çivaïsme, vers la douceur vichnouite et le bouddhisme, et aient supporté avec une impatience croissante les corvées, voire l'esclavage qu'exigeaient la construction et l'entretien des sanctuaires, des canaux ou des réservoirs. Le régime hindouiste, qui faisait la part trop belle à une minorité de prêtres et de guerriers, a peut-être suscité une réaction s'incarnant sous la forme du bouddhisme, plus égalitaire, plus soucieux de la souffrance des hommes. Cette hypothèse explique peut-être que l'introduction dans le royaume, au XIIIe siècle, du bouddhisme Hinayana, venu de l'ouest, n'ait fait que précipiter la crise. En 1336, un roi fervent hindouiste, persécuteur du bouddhisme et sous le règne duquel s'était produite une inondation catastrophique, fut assassiné et son meurtrier, Chay, placé sur le trône.
Révolution et ruine
Une véritable révolution s'ensuivit. Le culte du dieu-roi fut aboli, et si le roi conserva des brahmanes à la cour, ce fut surtout par respect pour des rites millénaires. La nouvelle dynastie rompit en effet avec l'hindouisme et écarta l'aristocratie indianisée. Une nouvelle élite apparut. Le bouddhisme Hinayana devint le culte officiel. Le pāli se substitua partout au sanskrit comme langue sacrée. On abandonna la construction des grands bâtiments de pierre ou de briques pour ne plus dresser que des pagodes ou palais en matériaux plus légers.
Les Thaï profitèrent de ces circonstances pour étendre puis consolider le pouvoir dans le bassin inférieur de la Ménam. En 1350, un nouveau royaume thaï, le Siam, s'y constitua, avec comme capitale Ayuthia et, dès 1351, son roi Ramadhipati lança son armée contre le Cambodge, s'empara d'Angkor et de ses trésors, emmena une partie des habitants en esclavage et plaça les provinces khmères situées au nord du Grand Lac sous l'autorité de princes de sa famille. Les Lao s'émancipèrent de leur côté de la souveraineté khmère (Fa Ngum fonde le Lane Xang en 1353). Les Khmers purent certes reprendre Angkor en 1357, chasser les Siamois jusqu'à Korat et rétablir la frontière séculaire avec le Champa, qui les avaient entre-temps attaqués. Mais Ayuthia reprit bientôt la lutte, et la nouvelle guerre, qui dura près d'un demi-siècle, devait aboutir à la prise et au sac d'Angkor, en 1431.
Les provinces avoisinantes, centre le plus peuplé de l'empire angkorien, étaient maintenant si dévastées et dépeuplées, des dommages si profonds avaient été causés au système d'irrigation (entraînant une baisse générale du niveau des eaux et, par suite, sécheresse et infertilité) qu'il fut décidé d'abandonner, comme capitale, Angkor, jugée trop exposée. La révolution religieuse et politique semble toutefois avoir eu des conséquences économiques aussi graves que l'invasion siamoise. Les souverains mōn et khmers avaient depuis douze siècles poursuivi une politique hydraulique exemplaire, qui répondait à une certaine conception du monde, fondée sur le concept de fécondité. La disparition de la dynastie angkorienne en 1336, le changement d'univers spirituel et la défaillance du pouvoir central qui en furent la conséquence, les déportations massives de population enfin entraînèrent la ruine du réseau hydraulique. L'irrigation permanente n'étant plus possible, la production, qui était de deux ou trois récoltes annuelles, tomba à une seule. Elle ne pouvait plus suffire à une population nombreuse. La chute démographique vint ainsi s'ajouter aux pertes militaires et aux déportations effectuées par les Siamois. Si les temples subsistèrent, la civilisation angkorienne s'effondra. En 1446, la cour khmère s'établit aux Quatre Bras, sur le Mékong, sur le site de l'actuelle Phnom Penh.
La
Décadence de l'Empire Angkorien
La décadence
C'en était fini, en réalité, de la puissance khmère. Pendant quatre siècles, le Cambodge allait désormais vivre d'une indépendance des plus précaires. Les discordes internes, les dissensions et les querelles sucessorales au sein de la famille royale provoquèrent continuellement des interventions étrangères, très souvent à l'appel des princes, prétendants, usurpateurs ou généraux.
Devenus (au début du XVIe siècle) vassaux du roi d'Ayuthia, les monarques khmers devaient obtenir de celui-ci l'investiture pour régner en paix. Assoiffés de pouvoir, des princes cambodgiens, pour triompher de leurs rivaux dans les successions, ou parfois de simples rebelles, firent même appel au Siam. Souvent ils payèrent ce concours en abandonnant aux Siamois l'administration de districts et même de provinces (comme Korat et Chantaboun). La tutelle siamoise était lourde et humiliante. La cour d'Ayuthia prenait des princes khmers comme otages et ne les laissait revenir au Cambodge qu'après s'être assurée de leur loyauté. Certains rois résistèrent cependant au protectorat d'Ayuthia; ils surent se battre et la fortune leur sourit parfois. Vers 1540, le roi Ang Chan Ier avait transféré la capitale à Lovek, plus au nord, mais les Siamois s'en emparèrent en 1593. Ils détruisirent les palais, les temples et les archives et déportèrent de nouveau une partie de la population khmère. La chute de Lovek porta un coup grave à la résistance cambodgienne.
Dans l'orbite du Siam
Au début du XVIIe siècle cependant, commença à se faire sentir l'influence vietnamienne, qui apparut alors comme un contrepoids possible à la domination siamoise. Après avoir paru s'accommoder de celle-ci, le roi Chey Chetta II (1618-1625) refusa l'hommage à Ayuthia, chassa la garnison siamoise qui occupait Lovek et, pour affirmer sa volonté de rénovation et d'indépendance, établit sa résidence à Oudong. Pour faire reconnaître sa suzeraineté, le roi de Siam fit alors envahir le Cambodge (1623). Chey Chetta, qui avait épousé une fille du roi de Hué (seigneur de Cochinchine), demanda l'aide de celui-ci. Les Siamois furent battus, mais Hué demanda à Chey Chetta l'autorisation de fonder des établissements vietnamiens dans la province de Prey Kor (futur Saigon). Le roi y consentit et les Vietnamiens commencèrent à s'installer dans la région du fleuve Donnai.
La succession de Chey Chetta II donna lieu à de furieuses luttes intestines. Des prétendants obtinrent en 1658 le concours vietnamien et l'un put, en 1660, s'assurer le trône. Par traité, la cour de Hué imposa alors au Cambodge le versement d'un tribut régulier. Souverains, usurpateurs, prétendants n'en continuèrent pas moins à se disputer le trône. Hué profita de la passivité du Siam, alors occupé à faire face aux Anglais, Français et Hollandais, pour soutenir (d'ailleurs en vain) la rébellion du «second roi» (obbareach), Ang Non, au Cambodge. Le roi Chey Chetta IV domina la scène pendant trente ans (après 1675), abdiquant puis reprenant la couronne quatre fois à des héritiers jugés médiocres. Sous son règne, en 1701, les Vietnamiens annexèrent les provinces de Giadinh, Bien Hoa et Baria.
Au XVIIIe siècle, le Cambodge s'affaiblit encore. Pour résister à la pression du Siam, qui soutenait ses adversaires, le roi Ang Em (1710-1722), gendre de Chey Chetta IV, s'appuya longtemps sur la cour de Hué, qui lui fournit des contingents armés mais qui sut aussi, grâce au concours d'émigrés chinois, étendre son influence le long du littoral du golfe du Siam (régions de Hatien, Rachgia et de l'île de Phu Quoc, 1715). Ang Em, pour obtenir la paix, se reconnut finalement vassal du Siam. Mais sous ses successeurs, les diverses «familles royales» (cousins et petits-cousins) se disputèrent le trône. En 1731, pour venger des massacres de Vietnamiens, le roi de Hué envoya une armée qui pénétra jusqu'à proximité de Oudong et força le Cambodge à abandonner deux nouvelles provinces (Mytho et Vinhlong). Vingt ans plus tard, profitant encore de la situation interne du Cambodge (où le roi vivait au milieu d'intrigues continuelles, de complots et de rébellions), les Vietnamiens purent encore se faire céder les provinces de Sadec, Chaudoc (1757), Travinh puis Soctrang. Le delta du Mékong passait peu à peu sous leur contrôle.
Après avoir assisté à la défaite d'Ayuthia sous les coups des Birmans, le roi Outey II (1758-1775) refusa en 1767 de reconnaître la suzeraineté du nouveau roi de Siam, Taksin. Désireux de réaffirmer sa position, celui-ci voulut imposer un prince khmer qui lui était acquis, Ang Non. Il réussit en 1770 à l'installer à Oudong. Mais Outey II appela alors la cour de Hué à son secours. L'armée vietnamienne mit en fuite les Siamois, mais, pour prix de son concours, le Vietnam imposa cette fois son protectorat (1771): au lieu d'envoyer comme par le passé un tribut symbolique, Outey dut désormais soumettre tous ses actes politiques au visa d'un représentant de Hué placé auprès de lui. Le protégé du Siam, Ang Non, s'était cependant retranché à Kampot, d'où il dirigea une guérilla contre son rival. Le pays était en ruine. Les Siamois avaient encore déporté à l'ouest une partie de la population. Le Vietnam, affaibli et agité depuis 1774 par la révolte des Tayson, ne pouvait rien faire.
Le Cambodge dans l'étau
Devant cette situation, le roi Outey II préféra abdiquer en faveur de son adversaire Ang Non (1775). Avec celui-ci, le Cambodge retomba du protectorat vietnamien sous la tutelle du Siam. Le roi haïssait les Vietnamiens au point qu'il songea un moment, dit-on, à faire massacrer tous ceux qui se trouvaient dans son État. Cependant, Ang Non ayant voulu exploiter les troubles qui désolaient le Vietnam pour récupérer le delta du Mékong, un complot se noua contre lui. Il fut capturé et assassiné (août 1779).
Les trois mandarins chefs du complot mirent alors sur le trône un enfant de six ans, Ang Eng, fils d'Outey II, mais ils se disputèrent. L'un d'eux, Ben, fit assassiner les deux autres, mais il dut se retirer avec le jeune roi à Bangkok, la nouvelle capitale que venait de fonder (en 1782) le nouveau roi de Siam, Chakri. Ang Eng y fut couronné par celui-ci (1794) qu'il reconnut comme suzerain et protecteur avant d'être reconduit à Oudong par une armée siamoise que Ben commandait (1795). Il laissa alors au Siam l'administration des provinces de Battambang, Mongkol Borey, Sisophon et Angkor. Mais il mourut dès août 1796, à l'âge de vingt-trois ans, laissant un fils aîné de quatre ans et une famille royale presque entièrement détruite.
Le roi Chakri (Rama Ier) chargea de la direction des affaires un mandarin khmer, Poc, qui jusqu'à sa mort (1806) fut son instrument docile. Le fils d'Ang Eng ayant alors atteint sa quinzième année, Chakri le fit couronner à Bangkok sous le nom d'Ang Chan II. Le nouveau roi ne tarda pas à entrer en conflit avec ses frères, que, sans le consulter, Chakri avait nommés aux fonctions de chefs de maisons princières. Le Vietnam ayant alors reconstitué sa force et son unité (Gialong était empereur depuis 1802), Ang Chan renoua avec Hué et accepta de se reconnaître vassal de Gialong. Mais le roi de Siam Rama II (1809-1824) ne pouvait admettre que le Cambodge eût deux suzerains: il fit occuper le Cambodge (1812). Ang Chan s'enfuit à Saigon, tandis que ses frères formaient un gouvernement provisoire composé en nombre égal de Siamois et de Khmers. En mai 1813, Ang Chan II, avec une armée khméro-vietnamienne, put reprendre Oudong. Peu après, le Siam acquiesça à sa restauration, moyennant la cession d'un vaste territoire au nord du royaume, les provinces de Melouprey et de Stungtreng.
Les Vietnamiens n'avaient toutefois pas restauré Ang Chan pour qu'il cède son royaume au Siam. Ils placèrent un résident auprès du roi et le gouverneur de Saigon reçut autorité militaire sur tout le Cambodge. Mais en 1831, venant au secours de rebelles khmers, les Siamois envahirent de nouveau le pays, contraignant le roi Ang Chan à se réfugier au Vietnam. Une révolte éclata alors contre l'occupation siamoise et l'empereur du Vietnam Minh Mang envoya une armée qui remit Ang Chan sur son trône. En 1834, à la mort du roi, les Vietnamiens imposèrent, pour lui succéder, sa troisième fille, Ang Mey. Le résident Truong Minh Giang s'engagea alors dans une politique de vietnamisation systématique du royaume, s'efforçant même de modifier les mœurs. Dans chaque province, un fonctionnaire vietnamien fut placé à côté du gouverneur cambodgien. L'armée khmère fut réduite au rang de milice locale. Les Vietnamiens imposèrent leur langue dans l'administration. En 1841, l'annexion fut décidée. Le gouverneur vietnamien fit déporter à Saigon la reine et ses ministres.
En 1845, exaspéré par cette oppression, le peuple khmer se révolta, attaquant et massacrant les Vietnamiens dans tout le pays. Les grands dignitaires, contactés par des émissaires du prince Ang Duong (fils de Ang Chan II), réfugié à Bangkok, sollicitèrent l'intervention siamoise. La cour de Bangkok ne laissa pas échapper l'occasion qui s'offrait à elle de retrouver au Cambodge l'influence qu'elle avait perdue. Le roi de Siam Rama III (1824-1851) chargea son général Bodin de placer Ang Duong sur le trône de Oudong et de bouter les Vietnamiens dehors. Les Khmers accueillirent avec joie cette intervention. L'armée siamoise occupa bientôt Oudong. En décembre 1845 cependant, à la demande d'Ang Duong, des pourparlers de paix s'engagèrent. Ils aboutirent vite. Il fut décidé, du consentement commun des gouvernements de Bangkok et de Hué, qu'Ang Duong serait fait roi, que les princesses et ministres khmers détenus au Vietnam seraient échangés contre des prisonniers de guerre vietnamiens et que le Siam conserverait les provinces cambodgiennes qu'il occupait depuis cinquante ans. De leur côté, les Vietnamiens se voyaient confirmer l'annexion de la basse Cochinchine (Kampuchea Krom).
Ang Duong (1845-1860) était convaincu qu'il n'avait obtenu qu'un sursis et qu'après sa mort le Cambodge serait partagé entre le Vietnam et le Siam, le Mékong étant la frontière commune. Sur les conseils de Mgr Miche, vicaire apostolique au Cambodge, il sollicita alors l'intervention de la France (1853) et Napoléon III, en 1855, chargea un diplomate, M. de Montigny, de passer avec Ang Duong un traité d'alliance et de commerce. Mais les indiscrétions de M. de Montigny, qui alertèrent Bangkok, firent échouer cette ouverture.
Dévasté et ruiné, le Cambodge était encore, à ce moment, dans une situation économique et sociale grave. Avec des moyens de fortune, Ang Duong entreprit de le relever. Il rebâtit Oudong, construisit des routes, parvint à garantir la sécurité et à attirer ainsi des marchands chinois et indiens. Il réorganisa l'administration, encouragea les bonzes à multiplier les écoles de pagode, tenta de lutter contre l'esclavage et l'usure. Une telle politique, heurtant de nombreux intérêts et privilèges, provoqua des mécontentements et Ang Duong dut même, de 1857 à 1859, réprimer divers mouvements d'agitation. Il se méfiait des Siamois (qu'il préférait aux Vietnamiens), mais il veillait à ne donner à aucun des deux une occasion nouvelle d'intervenir. À la mort d'Ang Duong (octobre 1860), son fils Ang Voddey, qui avait été éduqué à Bangkok, lui succéda. Il prit comme nom de règne celui de Norodom.
La période française
Norodom et le protectorat français
L'installation des Français en Cochinchine créa une situation nouvelle. En effet, par le traité qu'elle imposa au Vietnam (5 juin 1862), la France ne se faisait pas seulement céder Saigon et la Cochinchine orientale, elle se substituait aussi à la cour de Hué dans le «droit au tribut» que le roi du Cambodge adressait à l'empereur d'Annam.
Inquiet de voir ainsi la France assumer les droits du Vietnam au Cambodge, le Siam (soutenu par l'Angleterre) jugea opportun de réaffirmer sa suzeraineté. Les Français agirent alors avec décision. Le gouverneur de la Cochinchine, l'amiral de La Grandière, vint en juillet 1863 à Phnom Penh offrir à Norodom la protection de la France, qui lui permettrait d'échapper, cette fois définitivement, à l'emprise siamoise. Norodom signa ainsi le 11 août 1863 un traité qui stipulait que la France accordait sa protection au roi du Cambodge et plaçait un résident auprès de lui pour veiller à l'exécution du traité. De son côté, le roi s'interdisait d'entretenir aucune relation avec des puissances étrangères sans l'accord de la France. Faculté était donnée aux sujets français de s'installer et de commercer librement dans tout le royaume. Devant la lenteur de la ratification française, Norodom s'effraya et passa le 1er décembre 1863 un nouveau traité avec le Siam, où il reconnaissait de nouveau la suzeraineté siamoise. Mais, le traité franco-cambodgien ayant été approuvé par Napoléon III, Norodom fut officiellement sacré à Phnom Penh le 3 juin 1864 en présence des représentants de la France et du Siam. En 1866, pour marquer la fin d'une époque, le roi transféra sa capitale d'Oudong à Phnom Penh, centre commercial alors peuplé de 10 000 habitants environ, en majorité chinois.
La France voulait néanmoins, même au prix d'un partage, amener le Siam à renoncer à sa suzeraineté. Par le traité franco-siamois du 15 juillet 1867, le Siam reconnut le protectorat français sur le Cambodge et renonça à tous ses droits sur ce pays. Mais la France prenait l'engagement de ne jamais annexer le Cambodge à la Cochinchine (dont elle venait d'occuper l'ouest, le Kampuchea Krom). Elle reconnaissait, d'autre part, au Siam la propriété des provinces de Battambang et d'Angkor.
Norodom avait pu, à grand-peine, venir à bout de la rébellion de son frère Si Votha. Pour faire face à celle d'un bonze, Pukombo, qui se prétendait le fils d'Ang Chan II, il dut faire appel aux forces françaises. Pukombo fut finalement pris et exécuté (1867).
Tout comme son voisin le roi de Siam Chulalongkorn, Norodom désirait moderniser son royaume. Par des ordonnances du 15 janvier 1877, il supprima les trois maisons princières et avec elles un grand nombre de dignités mandarinales qui conféraient privilèges et immunités à leur titulaires sans charges ou responsabilités correspondantes. Il poursuivit les réformes administratives entreprises par Ang Duong, puis commença à réorganiser le système fiscal, supprimant notamment la ferme des impôts, qui était d'ordinaire confiée à des Chinois, attribuant enfin un traitement fixe aux fonctionnaires et leur retirant en même temps le droit de se rétribuer directement sur le produit des impôts. Il témoigna enfin de son intention d'abolir l'esclavage, tout en ménageant les transitions nécessaires.
La cour et les fonctionnaires opposèrent une vive résistance à cette «modernisation» qui menaçait leurs privilèges et revenus. L'administration se trouva peu à peu paralysée par leur refus de coopérer, tandis que s'aggravait le marasme économique et la situation financière. Norodom dut temporiser.
Les colons européens de Cochinchine commençaient à cette époque à s'intéresser au Cambodge, facilement accessible par le Mékong et dont Saigon était le débouché naturel. Ils voulaient des garanties d'«efficacité» et de sécurité, mais aussi des concessions agricoles et forestières. Des rapports tendancieux persuadèrent le gouvernement français (alors présidé par Jules Ferry) que c'était le roi lui-même qui était l'âme de la résistance aux réformes.
Le gouverneur de la Cochinchine, Charles Thomson, reçut l'ordre d'imposer au roi un protectorat rigoureux, analogue à celui que la France imposait, au même moment, à l'empereur d'Annam. Par un véritable coup de force, et sous la menace de déportation, Thomson obtint de Norodom la signature d'une convention qui le dépouillait pratiquement de toute autorité (17 juin 1884). Le Cambodge devenait un protectorat où le régime monarchique, toujours absolu, était placé sous l'autorité de la France. Si le roi gardait nominalement le pouvoir, il s'engageait à accepter toutes les réformes auxquelles la France jugerait utile de procéder. Le résident français à Phnom Penh aurait désormais sous ses ordres des résidents nommés par Paris et placés dans tous les chefs-lieux de province. C'était sous leur contrôle que les autorités locales continueraient à administrer le pays. L'ordre public et les services techniques et financiers seraient entièrement du ressort des fonctionnaires français. L'esclavage était aboli, mais le sol du royaume cessait d'être inaliénable et une propriété privée serait constituée (au moins pour les étrangers). Quant à la capitale Phnom Penh, elle serait administrée par une commission municipale mixte où les Français seraient prépondérants. Le roi ne pourrait plus légiférer ou décider sans l'approbation expresse du résident de France. En fait, le pouvoir au Cambodge était passé en mains françaises.
Contre ce diktat, une insurrection populaire éclata (novembre 1884), secrètement approuvée par Norodom. L'agitation s'étendit à la plupart des provinces. Pendant les années 1885 et 1886, les colonnes françaises sillonnèrent le pays pour tenter d'anéantir les insurgés, mais en vain. La situation économique s'aggravait. Le roi, qui s'était enfermé dans son palais, se refusait à toute coopération avec le protectorat.
En janvier 1887, le gouvernement français recula. Il fit connaître au roi que s'il parvenait à mettre fin à la rébellion, la France appliquerait de façon souple la convention de 1884. En quelques semaines, Norodom obtint la soumission des insurgés. La France adopta alors une attitude très prudente dans les affaires cambodgiennes, mais la IIIe République radicale s'accommodait mal de cette monarchie absolue et ses rapports avec le roi Norodom demeurèrent difficiles. Dès 1889, la présidence du Conseil des ministres fut assumée par le résident supérieur de France, devenu le véritable souverain. Pendant ce temps, l'économie du royaume végétait. La situation financière était mauvaise, la modernisation à peine esquissée: un service médical embryonnaire, un collège pour donner une formation de base aux fonctionnaires de l'administration locale, quelques services techniques (cadastre, eaux). Une dizaine de commerçants européens s'étaient installés au Cambodge. Paul Doumer, en 1897, écrira qu'en près de quarante ans de protectorat les progrès économiques au Cambodge «avaient été insignifiants pour ne pas dire nuls».
Les règnes de Sisowath et de Monivong
Désirant changer de politique, Doumer (nommé gouverneur général en 1897) passa de nouveaux accords avec le roi. En contrepartie de la restitution d'une partie de ses prérogatives, le roi accepta une sorte de constitution (11 juillet 1897). Mais son pouvoir restait nominal et honorifique. En droit comme en fait, et bien qu'assisté de ministres khmers, le résident supérieur de France demeura le véritable chef du gouvernement cambodgien. Ainsi contrôlée en son centre, l'administration cambodgienne l'était dans les provinces par des résidents français. Des réformes administratives, judiciaires, financières furent alors introduites, non sans rencontrer parfois une vive opposition du roi et de la cour. Sur le plan économique, c'est par la création d'une infrastructure de base que Doumer entendait amorcer le développement, par des travaux publics d'abord (aménagement de la capitale et de son port, navigation sur le Mékong, construction de routes, etc.). L'exploitation des ressources naturelles (pêcheries, forêts) fut réglementée, mais les investissements ne suivirent pas et le Cambodge, pendant la fin du règne de Norodom comme sous celui de ses deux successeurs, sera un des pays négligés de la Fédération indochinoise. Norodom mourut le 24 avril 1904. Le Conseil de la Couronne proclama alors roi son frère, le prince Sisowath.
Partisan convaincu de la modernisation, Sisowath inaugura son règne par des mesures éliminant certains aspects médiévaux de la vie du royaume (châtiments corporels, enchaînement, etc.). Son rapprochement spectaculaire avec la France, dont il était depuis longtemps le favori et où il effectua un voyage officiel en 1906, permit à Sisowath de revendiquer avec plus de force les territoires perdus. Déjà en février 1904 un traité franco-siamois avait restitué au Cambodge de vastes territoires au nord de Kompong Thom et la province de Stungtreng (Melouprey). Contre des concessions françaises, le Siam accepta, par le traité du 23 mars 1907, de rendre au Cambodge les provinces de Battambang et d'Angkor. Ce retour d'Angkor permit à l'École française d'Extrême-Orient (fondée en 1898) de commencer à dégager les ruines et à déchiffrer le passé khmer oublié, donnant ainsi une base à une nouvelle conscience nationale.
Le roi portait un intérêt particulier à l'enseignement, dont le développement lui semblait conditionner la transformation du pays. On décida de faire des écoles de pagode la base du nouveau système scolaire. En 1911, l'école primaire supérieure de Phnom Penh devint le collège Sisowath, mais ce n'est que bien plus tard que l'enseignement secondaire y fut introduit. Sur le plan politique et administratif, l'organisation mise en place par Paul Doumer en 1897 fut maintenue. Une «Assemblée consultative indigène» fut toutefois créée en 1913; elle était en grande majorité élue, mais par un collège électoral très restreint, et elle ne siégeait que dix jours par an pour discuter le budget. La population fut enfin recensée (en 1921, 2 403 000 habitants).
Le contrôle que le protectorat exerçait sur l'administration et la justice cambodgiennes, s'il freinait certains abus, n'en laissait pas moins subsister beaucoup d'autres. Le Cambodge n'attirait guère les Français (fonctionnaires ou colons) ambitieux et travailleurs. Dans un esprit de facilité, l'Administration du protectorat, ne trouvant pas parmi les Cambodgiens d'éléments assez dynamiques ou instruits pour les emplois qu'elle devait pourvoir dans les services, fit appel à l'immigration. Des milliers de Vietnamiens vinrent ainsi occuper des emplois administratifs, mais aussi prendre des métiers pour lesquels les Cambodgiens montraient peu d'inclination (batellerie, pêche, artisanat). Dans le même temps, l'immigration chinoise se poursuivait et les Chinois se taillaient la part du lion dans la commercialisation et le transport des produits, ainsi que dans le crédit. Les Français se réservaient le «grand» commerce. L'économie cambodgienne se trouvait de la sorte totalement dominée par des éléments étrangers.
C'est dans le domaine de l'infrastructure que les progrès furent les plus visibles. La construction d'un véritable réseau routier fut entrepris en 1912. L'administration française poursuivit d'autre part l'aménagement des villes et encouragea l'agriculture. En 1927, la culture du riz s'étendait au Cambodge sur 900 000 hectares, contre 300 000 en 1904. D'autre part, les pêcheries étaient de mieux en mieux exploitées.
Le roi mourut en 1927. C'est son fils aîné Monivong qui lui succéda. Si le pays fut gravement touché par la crise économique mondiale et notamment par la chute des cours de ses produits de base, le redressement se dessina dès 1934. Une voie ferrée Phnom Penh-Battambang fut construite entre 1929 et 1932, et prolongée plus tard jusqu'à la frontière siamoise. Le réseau routier fut encore étendu, les villes furent dotées de nouvelles aménités, des travaux d'hydraulique agricole et d'assainissement entrepris. Un réseau hospitalier prit corps. Par ailleurs, le défrichement des terres rouges des provinces de Kratié et de Kompong Thom fit de spectaculaires progrès et la superficie des plantations d'hévéas atteignit 27 300 hectares en 1937. Le caoutchouc prenait place parmi les exportations les plus rémunératrices du pays (12 300 t exportées en 1937). Cette même année, le Cambodge exportait 400 000 tonnes de paddy, 300 000 tonnes de maïs, 3 200 tonnes de poivre, du poisson séché (vers Singapour et Hong Kong), du bétail et du bois vers Saigon. C'est par ce port que transitait la quasi-totalité des importations et exportations du royaume. Le développement industriel demeurait néanmoins insignifiant. Quant au sous-sol, il était à peine exploré et quasi inexploité. Par rapport au Cambodge de Norodom, les progrès économiques du pays n'en étaient pas moins considérables.
Le Cambodge ne comptait cependant encore en 1937 que 1 000 écoles à peine (dont 813 écoles de pagode), avec 49 500 élèves pour 3 millions d'habitants. À la fin du règne de Monivong, il ne disposait pas encore d'un enseignement secondaire digne de ce nom et les Khmers devaient aller à Saigon passer leur baccalauréat. Sur les 631 étudiants que comptait en 1937 l'université indo-chinoise de Hanoi, 3 seulement étaient d'origine cambodgienne. Depuis qu'en 1911 les écoles de pagode étaient devenues un pilier essentiel de l'enseignement au Cambodge, le rôle du bouddhisme dans la vie nationale s'était encore accru. Une école de pāli avait été fondée pour permettre aux bonzes d'étudier dans le pays (et non plus au Siam). En 1930, un Institut bouddhique fut créé à Phnom Penh avec un enseignement complet de la religion. Ce développement de l'instruction avait toutefois donné naissance à une petite classe d'«évolués» appartenant pour la plupart aux classes aisées, qui revendiquaient, parfois bruyamment, des postes administratifs élevés tout en témoignant d'un grand mépris pour «les masses ignorantes et bornées». Sur le plan politique, on ne notait aucune tension particulière. L'Assemblée consultative ne débordait guère de son rôle limité et la résidence supérieure exerçait son contrôle avec le concours de ministres khmers, dont le principal était Thioun. Les Chinois dominaient le commerce et une nouvelle génération de métis sino-khmers doués et énergiques s'affirmait peu à peu; mais les Vietnamiens étaient employés, en nombre croissant, dans les administrations et les entreprises commerciales.
La Seconde Guerre mondiale allait apporter l'orage au Cambodge. Le Siam (devenu Thaïlande) mit à profit la défaite de la France en juin 1940 pour tenter de reprendre, par la pression militaire, les provinces qu'il avait dû abandonner. Il attaqua l'Indochine en janvier 1941. Bientôt, devant les revers thaï, le Japon imposa sa médiation. Par l'accord du 11 mars 1941, signé à Tōkyō, la province de Battambang et la partie du pays située au nord du 150 G furent attribuées à la Thaïlande. Les Khmers prirent conscience que la France ne pouvait plus les défendre efficacement. C'est dans cette atmosphère de deuil que mourut le roi Monivong (23 avril 1941). Le Conseil de la Couronne proclama roi le prince Norodom Sihanouk, âgé de dix-huit ans, qui était l'arrière-petit-fils à la fois de Norodom et de Sisowath.
Le
SangkumReastr Niyum, la République Khmère, le Kampuchea Démocratique, la République
Populaire du Kampuchea, l'Etat du Cambodge, et le Royaume du Cambodge aujourd'hui...
Le règne de Norodom Sihanouk
Les premières années
Trois mois plus tard, le Japon obtenait de la France l'autorisation de stationner des troupes au Cambodge, d'où les forces nippones s'élancèrent, le 8 décembre 1941, pour attaquer la Birmanie et la Malaisie. Très vite, les Japonais, tout en mettant à contribution les ressources économiques du Cambodge, s'employèrent à y cultiver le nationalisme, à travers l'Institut bouddhique où ils approchèrent le bonze supérieur (achar) Hem Chieu et un jeune magistrat, Son Ngoc Thanh. Mais la répression française s'abattit. Hem Chieu fut déporté à Poulo Condor et y mourut. Son Ngoc Thanh put gagner le Japon. Comme au Vietnam et au Laos, l'administration française laissa toutefois se développer certaines aspirations jugées «légitimes», faisant ainsi place au drapeau national et à une certaine littérature patriotique, laissant aussi relever par des autochtones un certain nombre d'administrateurs français, et développant largement l'enseignement et aussi les organisations sportives de jeunesse. Si l'infrastructure routière, hospitalière et urbaine fut encore améliorée, la situation économique, du fait du blocus allié et de la présence japonaise, s'aggrava considérablement.
Le 9 mars 1945, au Cambodge comme dans le reste de l'Indochine, l'armée japonaise élimina l'administration française. À sa demande, le roi Sihanouk dénonça le 12 mars le traité de protectorat avec la France et déclara que «le royaume de Kampuchea était désormais un État indépendant». Les Japonais firent revenir de Tōkyō Son Ngoc Thanh et il devint l'âme (mais non le chef nominal) du gouvernement pronippon qui s'installa en juin à Phnom Penh. Après la capitulation japonaise, en septembre 1945, Son Ngoc Thanh tenta de négocier avec les Alliés sur la base d'une reconnaissance de l'indépendance du Cambodge, mais les Français étaient déjà revenus à Saigon et, le 16 octobre 1945, le général Leclerc vint en personne arrêter Son Ngoc Thanh à Phnom Penh.
Le roi Sihanouk, qui avait sollicité l'intervention française, nomma alors à la tête du gouvernement son oncle Monireth, renonça secrètement à sa proclamation de mars 1945 et s'employa à renégocier (par étapes) avec la France l'indépendance du royaume. Un modus vivendi fut signé dès le 7 janvier 1946, qui accorda au Cambodge l'autonomie interne dans le cadre de la Fédération indochinoise. Le gouvernement khmer, qui serait assisté à de multiples niveaux de conseillers français, devenait responsable de nombreux services. Mais ce n'est qu'en novembre 1946 que la France obtint du Siam la restitution de Battambang et du territoire du Nord.
Cependant le roi s'engageait dans la voie d'une «démocratisation», annonçant le 13 avril 1946 un passage prochain de la monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle. Une Assemblée nationale fut élue au suffrage universel le 1er septembre 1946. Sous la poussée du Parti démocrate, sorti vainqueur de ce scrutin, elle se déclara constituante. La Constitution, adoptée le 6 mai 1947, très inspirée par la Constitution de la IVe République française, établit une prépondérance de l'Assemblée. Les partis fleurirent, mais aussi les factions.
Pendant cinq ans, de 1947 à 1952, la scène politique cambodgienne fut occupée par un conflit entre le Parti démocrate, dominant l'Assemblée, et le roi qui, en dépit du texte constitutionnel, demeurait le premier personnage du pays. Le Parti démocrate joua d'abord la carte nationaliste. Il soutenait que le Cambodge ne pouvait obtenir moins que le Vietnam, qui venait de se voir reconnaître son indépendance par la France. Sous cette pression, appuyée par des rebelles «Khmers Issarak» réfugiés au Siam, Sihanouk et le gouvernement négocièrent avec la France et signèrent avec elle le 8 novembre 1949 un traité par lequel Paris, abrogeant celui de 1863 et la convention de 1884, reconnaissait «le royaume du Cambodge comme un État indépendant» dans le cadre de l'Union française. Les Français conservaient néanmoins des pouvoirs considérables.
Bientôt les rivalités de personnes et de clans au sein du Parti démocrate rendirent impossible toute action sérieuse. L'Assemblée paralysait l'Administration, faisait et défaisait les gouvernements. Le Parti démocrate, à partir de 1948, bloqua systématiquement la législation proposée par le roi, dont il dénonçait par ailleurs la mollesse face à la France. Sihanouk se décida alors à lutter et mit à profit les dissensions au sein du Parti démocrate pour imposer à l'Assemblée des hommes à lui. Le conflit entre le palais et le parti prit un tour aigu après le retour au pays de Son Ngoc Thanh, qui, après six ans d'internement en France, avait été libéré à la demande de Sihanouk, mais qui soutint les démocrates. Le 15 juin 1952, le roi assuma personnellement le pouvoir exécutif et demanda au peuple un mandat de trois ans pour redresser le pays, le pacifier et obtenir une indépendance réelle.
Le roi essaya d'obtenir un nouvel accord avec la France, mais celle-ci tergiversait. C'est seulement quand il menaça de se tourner vers Ho Chi Minh que Sihanouk obtint (juillet 1953) l'ouverture d'une négociation sérieuse avec Paris, qui aboutit le 9 novembre 1953 à un accord franco-khmer consacrant l'indépendance réelle du Cambodge, mais toujours «dans le cadre de l'Union française». Le Cambodge put, par diverses conventions, recouvrer sa pleine souveraineté, qui fut reconnue, sur le plan international, à la conférence de Genève de juillet 1954. Les forces françaises et vietminh évacuèrent alors le pays. Par la dissolution, le 31 décembre 1954, de l'Union économique et monétaire indochinoise, le Cambodge accéda à une indépendance totale en matière de finances, de commerce extérieur et de politique économique.
L'indépendance dans la neutralité
L'accord de Genève contraignait Sihanouk à faire procéder à des élections libres. Prenant résolument l'initiative, il fit d'abord approuver massivement par référendum la façon dont il avait accompli sa mission (7 février 1955) puis il décida de se jeter lui-même dans l'arène politique. Le 2 mars 1955, il abdiquait en faveur de son père Suramarit et, redevenu prince, fondait un rassemblement, qu'on allait désormais connaître sous le nom de Sangkum.
Le prince entendait, en crevant l'écran que formaient les partis, établir un contact direct entre le peuple et ses dirigeants et promouvoir un développement rapide du pays tout en contrôlant l'administration par la base, notamment par le biais des congrès nationaux du Sangkum, sorte de «démocratie directe». Plusieurs partis se déclarèrent dissous, plusieurs personnalités démocrates (comme Penn Nouth et Son Sann) se rallièrent au Sangkum, mais le Parti démocrate refusa de se rallier. Aux élections du 11 septembre 1955, le Sangkum obtint 83 p. 100 des voix, les démocrates 12 p. 100, les communistes 4 p. 100. Dès l'été de 1955, Sihanouk, qui avait, à la conférence de Bandoung, rencontré Nehru et Chou En-lai, réalisa que l'unité interne et la sécurité extérieure du Cambodge dépendaient largement de l'orientation de sa politique étrangère. L'expérience de l'histoire khmère en témoignait. Si le Sangkum penchait vers l'Occident, il serait attaqué par la gauche (qui avait des appuis étrangers à Hanoi et à Pékin). S'il penchait vers Pékin ou Moscou, il aurait des ennuis du côté des conservateurs du Sangkum et des démocrates (qui étaient soutenus par Bangkok, Saigon et Washington). Seul un strict non-alignement et l'ouverture de relations amicales avec tous les pays pouvaient sauvegarder l'indépendance du pays et l'union nationale. Le 14 décembre 1955, le Cambodge était admis à l'O.N.U., où il affirma sa volonté de pratiquer une politique totalement indépendante des deux blocs.
Les États-Unis, cependant, cherchaient à aligner le Cambodge sur leurs alliés de Bangkok et de Saigon dans un glacis antichinois d'un seul tenant. Pour résister à leur pression, Sihanouk estima indispensable d'équilibrer l'aide économique occidentale, trop exclusive. Il se rendit alors à Pékin (février 1956). La Chine, qui semblait au prince être l'État le mieux placé, après l'effacement de la France, pour défendre l'indépendance du Cambodge, lui promit de l'aider à consolider sa neutralité. L'U.R.S.S., de son côté, promit une aide économique substantielle (juillet 1956). Le 11 septembre 1957, Sihanouk faisait voter une loi proclamant la neutralité du pays. Cette orientation détermina le Sud-Vietnam et la Thaïlande à accroître leur pression sur le Cambodge et à partir de 1958 (année où s'établissent des relations diplomatiques officielles avec la Chine), c'est à une subversion active et continue, visant à faire capituler Sihanouk ou à l'éliminer que le Cambodge va faire face. Thaïlandais, Sud-Vietnamiens et Américains vont tenter de faire éclater le Sangkum de l'intérieur, en jouant de la rivalité de ses factions et de ses clans, en encourageant aussi la subversion armée. Un complot de Dap Chhuon, lié à Son Ngoc Thanh réfugié à Bangkok depuis 1955, est déjoué en mars 1959. Sihanouk accusait ouvertement la Thaïlande, avec qui il avait rompu les relations diplomatiques en décembre 1961 à cause d'un litige concernant le temple de Preah Vihear, de préparer un coup d'État contre lui. Mais d'autres complots, de gauche cette fois, furent éventés en 1961-1962, après la prise en main du Parti communiste (clandestin) par un certain Saloth Sar.
À l'intérieur toutefois, Sihanouk avait, par cette lutte, consolidé sa position. Son père Suramarit étant mort le 3 avril 1960, il avait accepté, devant le «vœu populaire», de devenir le chef de l'État (juin 1960).
Le développement du Cambodge faisait de vifs progrès. Un plan biennal (1956-1958) et son complément (1958-1960), adoptés par les premiers gouvernements du Sangkum, préparèrent le lancement de deux plans quinquennaux (1960-1964 et 1965-1969) que vinrent soutenir diverses aides étrangères (France, États-Unis, Chine, Union soviétique, Tchécoslovaquie). L'infrastructure fit de grands progrès: construction d'un port maritime à Kompong Som et d'un grand aéroport à Pochentong (qui libéraient le pays de la dépendance de Saigon), extension et amélioration du réseau routier, construction immobilière et aménagement des villes, surtout de Phnom Penh. Les plans visaient à diversifier l'économie (jusque-là centrée sur le riz et le caoutchouc), en créant une industrie de transformation des produits locaux permettant de réduire certaines importations, d'accroître la valeur des exportations, et aussi de fournir des emplois à une population en rapide accroissement (le recensement de 1962 dénombra 5 700 000 habitants). Dans le second plan, priorité était donnée au développement du potentiel hydro-électrique et à l'irrigation de vastes régions agricoles (en 1969, le pays comptait 2,2 millions d'hectares de rizières). Dans le domaine industriel et commercial, les plans, tout en encourageant les investissements privés, donnèrent une grande importance au secteur public ou aux sociétés d'économie mixte. Des entreprises importantes furent créées parfois avec l'aide étrangère: filatures et tissages, jute, verreries, brasseries, distilleries, cimenteries, usines de pneus, de cigarettes, de phosphates, de sucre, de conserves, de papier, etc., sans compter les rizeries et scieries. Une raffinerie de pétrole fut créée à Kompong Som.
Sur le plan social, le Sangkum donna à partir de 1961 une priorité au «développement communautaire» à la campagne, avec regroupement des villages, qu'on dotait d'écoles et de dispensaires. Sihanouk donna une grande impulsion à l'enseignement, à tous les niveaux, mais l'administration, l'industrie et le commerce n'offraient pas assez de débouchés à la jeunesse ainsi formée, qui se détournait de l'agriculture, d'où chômage intellectuel et mécontentement. Au début de 1963, Sihanouk reconnut qu'une partie de l'élite khmère en était arrivée à «poser la question de la structure économique et même sociale du pays». Il apparut à la fin de 1963 que, face au développement d'une «nouvelle classe» aisée, occidentalisée et souvent corrompue qui était la grande bénéficiaire de l'aide étrangère (américaine surtout), l'État devait se donner les moyens de mieux contrôler l'économie nationale. Le 10 novembre 1963, Sihanouk annonça que l'État assumait la responsabilité du commerce extérieur et que les banques, tant khmères qu'étrangères, seraient nationalisées. Renonçant en même temps à l'aide américaine, il préparait les «structures d'accueil» des aides étrangères destinées à la remplacer, en particulier celles du camp socialiste et, secondairement, de la France.
Le Cambodge en danger
Problèmes intérieurs et extérieurs sont au Cambodge difficilement séparables. Pris en tenaille entre la Thaïlande et le Sud-Vietnam hostiles, le Cambodge risquait de demeurer isolé s'il ne menait pas une politique de «neutralité active». Il reçut des encouragements d'Hanoi, de Pékin, de Moscou et de Paris, mais ses rapports avec la Thaïlande et le Sud-Vietnam se dégradèrent encore et, en août 1963, Phnom Penh rompit ses relations diplomatiques avec Saigon.
Le développement de l'insurrection communiste au Sud-Vietnam et l'intervention armée des États-Unis dans ce pays mirent le Cambodge dans une situation très délicate. Conscient des dangers qui allaient en résulter, Sihanouk proposait en juillet 1964 une conférence internationale pour une neutralisation, sinon de l'Indochine, du moins du Cambodge, avec garantie des puissances. Il croyait encore possible de persuader les États-Unis de ne pas s'engager davantage et de «négocier» un règlement raisonnable (attitude proche de celle du général de Gaulle à qui le prince donnera l'occasion de prononcer, le 1er septembre 1966, son célèbre «discours de Phnom Penh»). Mais la tension qui résulta, en mars 1965, de l'attaque du Nord-Vietnam par les États-Unis amena Sihanouk à rompre les relations diplomatiques avec ceux-ci (3 mai 1965).
À l'intérieur, l'orientation vers le «socialisme bouddhique» rencontrait de sérieux obstacles. Des milieux influents de la capitale, hostiles à toute «ouverture à gauche», estimaient que le Cambodge bénéficierait, tout comme la Thaïlande, d'une généreuse aide américaine s'il prenait position contre le communisme vietnamien. Sihanouk céda en partie aux pressions de la droite: aux élections du 11 septembre 1966, le Sangkum remporta certes de nouveau la totalité des sièges de l'Assemblée, mais l'écrasante majorité des élus appartenait aux factions de droite. Le général Lon Nol fut alors nommé Premier ministre (octobre 1966).
La brutale répression d'un soulèvement paysan à Samlaut, près de Battambang, au début de 1967, lui aliéna une partie du monde rural. Son orientation à droite suscita une vive opposition dans le corps enseignant. Lon Nol, tirant prétexte de manifestations maoïstes, réprima aussi durement les villes. Trois leaders de la «gauche légale», Khieu Samphan, Hou Yuon et Hu Nim, rejoignirent alors, dans les forêts, l'organisation communiste que dirigeait, depuis 1962, Saloth Sar. Un accident grave ayant obligé Lon Nol à se retirer (29 avril 1967), Sihanouk reprit les rênes avec des «cabinets d'urgence» dirigés successivement par Son Sann et Penn Nouth. Mais la situation se compliqua.
Sihanouk est renversé
L'intervention américaine contraignait Hanoi à faire passer par des pistes traversant le Cambodge oriental armes et approvisionnements destinés au Front national de libération du Sud. D'autre part, le Cambodge laissait transiter par son port de Sihanoukville des marchandises également destinées au F.N.L. Cela aggravait la tension avec les voisins. Le 9 mai 1967, Sihanouk demandait à tous les États du monde de reconnaître les frontières actuelles de son pays. Le F.N.L. et Hanoi furent les premiers à le faire, promettant aussi de respecter l'intégrité territoriale et la neutralité du Cambodge. En contrepartie, Sihanouk reconnut le F.N.L. comme «seul représentant authentique du peuple sud-vietnamien» et noua des relations diplomatiques avec Hanoi. Mais le ravitaillement des révolutionnaires vietnamiens suscitait une contrebande et des trafics impliquant des milieux influents de la capitale et il en résulta de nouvelles et violentes rivalités au sein de la classe dirigeante de Phnom Penh, où s'étalait insolemment le luxe des privilégiés.
La neutralité était de plus en plus difficile à maintenir. Le Parti communiste khmer (P.C.K.), tirant les leçons de Samlaut (et de l'expérience maoïste), décida de déclencher la lutte armée contre le régime. Il la commença, dans un cadre géographiquement limité, en janvier 1968. Dès mai 1968, Sihanouk déclara que le communisme était l'ennemi principal du Cambodge. Avec l'ouverture de la conférence de Paris sur le Vietnam et la perspective (qu'elle impliquait) d'un retrait américain d'Indochine, Sihanouk redouta de se retrouver bientôt seul face aux communistes (chinois ou vietnamiens) et à ses vieux ennemis de Saigon et de Bangkok. La reconnaissance, tardive, des frontières du Cambodge par les États-Unis (16 avril 1969) lui permit de renouer avec eux. Il établit, certes, des relations cordiales avec les dirigeants de Hanoi lors des obsèques de Ho Chi Minh auxquelles il assista (septembre 1969), mais il avait laissé en août l'Assemblée faire revenir Lon Nol au pouvoir, avec des chefs de la faction de droite proaméricaine, comme le prince Sirik Matak. Cette faction brûlait du désir d'obtenir une aide multilatérale étrangère et des investissements occidentaux pour résoudre les problèmes économiques qui, sous la gestion désordonnée et souvent incohérente de Sihanouk, n'avaient cessé de s'aggraver. La jeunesse, instruite mais sans emploi, était lasse du prince, qui gardait cependant encore la confiance des masses populaires.
Bien que progressivement passé aux mains de ses factions de droite, le Sangkum, lui-même en crise, refusait encore d'autoriser la dénationalisation du secteur bancaire et l'activité des banques étrangères (décembre 1969). La droite, avec Sirik Matak, comprit qu'il n'y aurait pas d'investissements étrangers ni de «redressement» économique tant que le régime resterait aussi personnalisé, autrement dit tant que Sihanouk serait là. Elle profita de l'absence du prince (en cure médicale en France) pour provoquer d'abord de vastes manifestations antivietnamiennes, puis pour renverser Norodom Sihanouk qui, le 18 mars 1970, fut déchu par l'Assemblée de ses fonctions de chef de l'État.
La guerre civile
G.R.U.N.C. contre «République khmère»
Lon Nol ordonne aux communistes vietnamiens de retirer dans les deux jours leurs forces du Cambodge. Les conjurés (Lon Nol, Sirik Matak, In Tam) avaient été soutenus par les Américains qui, pour protéger leur retrait du Vietnam et prévenir un effondrement du régime de Saigon, voulaient éliminer les «sanctuaires» vietnamiens du Cambodge et avaient dans ce but attisé le sentiment antivietnamien à Phnom Penh.
Parvenu à Pékin le 19 mars (revenant de Paris), Sihanouk décide de lutter. Dans une proclamation au peuple du 23 mars, il révoque Lon Nol et dissout l'Assemblée, crée un Front uni national du Kampuchea, ou F.U.N.K. (Kampuchea étant la transcription moderne de Kambuja, nom par lequel les Khmers désignaient déjà leur pays au IXe siècle), pour lutter «contre les traîtres» et annonce la formation imminente d'un Gouvernement royal d'union nationale (G.R.U.N.C.). Hanoi lui accorde immédiatement son appui, obtient le ralliement, au prince, des communistes khmers, et lance quatre divisions au Cambodge pour endiguer l'armée de Lon Nol. Celle-ci, qui vient de tirer sur les paysans qui se mobilisaient pour soutenir Sihanouk, réplique en massacrant près de 100 000 Vietnamiens du Cambodge et en en expulsant autant du pays. L'Armée populaire vietnamienne assure une couverture totale au Parti communiste khmer (P.C.K.), qui ne compte encore que 4 000 guérilleros, et à qui elle fournit des armes et des instructeurs. Elle se répand au Cambodge, dont les campagnes tombent ainsi aux mains des Khmers rouges (c'est le nom que Sihanouk avait donné aux communistes).
L'armée de Lon Nol se trouve assiégée dans les villes et ne contrôle plus que les grands axes et la plaine du Nord-Ouest. Un Front des peuples indochinois en lutte contre les États-Unis (Vietnam, Cambodge et Laos) est scellé le 25 avril en Chine, en présence de Chou En-lai. Le 5 mai, le G.R.U.N.C. est constitué à Pékin, sous la présidence de Penn Nouth. Il est formé pour moitié de sihanoukistes (à l'étranger) et pour moitié de Khmers rouges (à l'intérieur) dont Khieu Samphan paraît être le leader. Mais le 30 avril, le président Nixon donne l'ordre aux forces américaines d'entrer au Cambodge et d'y détruire les sanctuaires communistes. À leur suite, les Sud-Vietnamiens entrent aussi. Ils seront à Phnom Penh le 11 mai et vengeront, par leurs exactions, les atrocités antivietnamiennes commises par les lon-noliens. Le régime Lon Nol, acculé, tombe dans la dépendance complète de Washington et de Saigon. Le 9 octobre 1970, après avoir condamné Sihanouk à mort par contumace, il proclame la République khmère.
L'appui américain ne lui sera pas marchandé, mais les divers clans de l'oligarchie urbaine vont se disputer pour s'approprier cette aide et s'enrichir encore. C'est le règne de la corruption, de la répression, de la cruauté vaine, de l'incompétence aussi. Les clans rivalisent, mais ni le frère de Lon Nol (Lon Non) ni Son Ngoc Thanh ne parviendront à supplanter le tandem Lon Nol-Sirik Matak. En dépit d'un soutien aérien américain, l'armée de Lon Nol essuiera échec sur échec dans sa lutte contre les Khmers rouges, de mieux en mieux entraînés par les Vietnamiens. Ceux-ci évacuent le Cambodge au début de 1973, à la suite de l'accord de Paris, mais l'aviation américaine va continuer ses bombardements massifs jusqu'au 15 août 1973, semant deuils et destructions, suscitant une haine profonde contre les citadins qu'elle «défend» ainsi. Fuyant ces bombardements mais aussi le régime des Khmers rouges, des centaines de milliers de ruraux viennent chercher refuge dans la capitale.
Les Khmers rouges et le prince Sihanouk se refusant à tout compromis avec Lon Nol, la lutte se poursuit, acharnée. Elle prend un tour décisif au début de 1975, lorsque le régime de Saigon s'effondre. Le 1er avril, Lon Nol et certains dirigeants s'enfuient à l'étranger. Le 17 avril, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh, où la résistance cesse.
Le Kampuchea démocratique (Khmer rouge)
Les Khmers rouges décident alors de vider cette ville, symbole de la corruption, du luxe, de l'étranger, de la répression aussi, et d'en disperser les 3 millions d'habitants aux quatre coins du pays. Toutes les villes, systématiquement démantelées, subissent le même sort. L'exode fait des centaines de milliers de nouvelles victimes. L'industrie et toute l'infrastructure sanitaire, scolaire et administrative sont saccagées.
Le régime décide de «ruraliser» toute la population et de la fixer dans des coopératives. Il distingue l'«ancien peuple» (les «paysans révolutionnaires») qu'il contrôle depuis 1970, et le «nouveau peuple», qui vient d'être non pas libéré mais capturé, et sur lequel les cadres, sous prétexte de le «rééduquer», vont avoir en fait droit de vie et de mort. Il s'agit de créer un «homme nouveau», entièrement soumis à la collectivité, et de déraciner toute idée de profit: on abolit donc la monnaie et toute propriété privée et on disloque les familles. Tous les individus sont affectés à des coopératives, contraints de travailler à un rythme forcené. D'immenses travaux publics sont entrepris, de construction de canaux et de digues notamment, afin d'accroître la superficie cultivée en rizières. Le travail épuisant, la malnutrition, les maladies et les «épurations» vont faire cette fois de un à deux millions d'autres victimes en trois ans
Ce qui dirige ainsi, d'une main de fer, le Cambodge, c'est l'Organisation suprême (Angkar Loeu), nom sous lequel se dissimule le Parti communiste, qui n'osera s'avouer tel qu'en septembre 1977. Un Congrès populaire adopte en janvier 1976 la Constitution du nouvel État, appelé Kampuchea démocratique. Sihanouk, revenu au pays en décembre 1975, ayant décliné les fonctions de chef de l'État, Khieu Samphan les assume et, en avril 1976, un gouvernement est formé, qui remplace le G.R.U.N.C. Il est présidé par Saloth Sar, secrétaire général du P.C.K. qui a pris le nom de Pol Pot.
La lutte des factions reprend alors. Les vainqueurs ont naturellement éliminé tous les lon-noliens, tenants du régime républicain urbain. Maintenant, ils s'accordent pour épurer tous les sihanoukistes, mais des factions, l'une jugée «radicale» et l'autre «modérée», commencent à apparaître, ainsi qu'un autre clivage, entre ceux qui sont favorables à une coopération avec le Vietnam et ceux qui y sont hostiles. Les relations avec le Vietnam, qui ont commencé à se refroidir en 1972, se sont envenimées en 1975 à propos de la possession d'îles du golfe du Siam. Elles s'aigrissent encore en mai 1976, après la suspension sine die des négociations engagées en vue d'un traité de coopération. Le P.C.K., reprenant la politique de Sihanouk, va alors s'appuyer totalement sur la Chine pour faire échec à un Vietnam dont il redoute l'infiltration politico-idéologique et les visées hégémoniques. Ayant apparemment rallié à lui la faction Khieu Samphan et liquidé Hou Yuon et Hu Nim, Pol Pot émerge en vainqueur au printemps 1977 et s'appuie davantage encore sur la Chine, d'autant qu'une sédition militaire à Phnom Penh (avril 1977) a manqué de peu de le renverser. Le Vietnam est accusé de subversion. À partir de septembre 1977, le Cambodge, sous la direction de Pol Pot et de son second, Ieng Sary, entame une véritable guerre contre le Vietnam, prenant pour prétexte le différend frontalier. Refusant toute négociation, Pol Pot rompt les relations diplomatiques avec Hanoi (31 déc. 1977) et, par de nouvelles épurations, décime ses adversaires. Une nouvelle rébellion de ceux-ci échoue en avril 1978. Mesurant que le Vietnam va cette fois recourir à d'autres moyens, Pol Pot demande et obtient un concours accru de la Chine qui, de son côté, exerce une forte pression sur le Vietnam. Mais celui-ci, soutenu par l'U.R.S.S., va réagir de façon à neutraliser rapidement la menace qui pèse sur lui au sud. Le 3 décembre 1978, les factions communistes opposées à Pol Pot se regroupent en un Front uni de salut national. Le 25 décembre, l'armée vietnamienne passe à l'offensive et, en quelques jours, met en déroute l'armée de Pol Pot. Le 7 janvier 1979, Phnom Penh tombe, suivie, quelques jours plus tard, de la plupart des capitales provinciales. Le 11 janvier, à Phnom Penh, un Comité populaire révolutionnaire, présidé par Heng Samrin, prend le pouvoir et proclame la république populaire du Cambodge. Elle est contrôlée par la fraction provietnamienne du P.C.K.
La république populaire du CambodgePol Pot, en fuite avec des unités disloquées, va continuer la guérilla dans la région frontalière khméro-thaïlandaise, avec le soutien de la Chine et la complaisance de Bangkok. À l'intérieur, la population, dispersée en 1975, regagne ses villages et ses villes d'origine. Le pays émerge peu à peu du cataclysme. Trois millions d'habitants et 90 p. 100 des cadres instruits ont disparu. Les villes ont été dévastées, l'infrastructure culturelle (pagodes, écoles, universités) a fait l'objet d'une destruction systématique. C'est un pays ruiné et exsangue qui se remet en marche début 1979. Des traités d'amitié et de coopération avec le Vietnam et le Laos, signés en février et mars 1979, fondent la solidarité des trois pays en matière politique, économique et militaire. L'armée vietnamienne, est-il convenu, demeurera au Cambodge aussi longtemps que le gouvernement khmer le jugera nécessaire à la sécurité du pays.
Sous cette protection, le gouvernement Heng Samrin peut rapidement étendre son contrôle à la quasi-totalité du territoire, où il met en place, tant bien que mal, une nouvelle administration. La famine est conjurée grâce à une aide internationale d'urgence. L'activité économique reprend, à des niveaux divers: priorité est donnée à la production de vivres (1 500 000 hectares de rizières vont être remis en culture). La monnaie, abolie en 1975, est réintroduite en février 1980. Le système scolaire et sanitaire est reconstitué. Une natalité très forte rend vie au pays. L'aide extérieure vient surtout du Vietnam, d'U.R.S.S., de République démocratique allemande et d'organisations humanitaires internationales financées par l'Occident. Mais c'est une intense contrebande avec la Thaïlande qui réapprovisionne le mieux les marchés urbains et ruraux.
Sur le plan politique, le Front uni de salut national, rebaptisé Front d'édification et de défense nationales, devient l'organisation de masse, le grand rassemblement de mobilisation populaire, mais le «parti dirigeant» est le Parti populaire révolutionnaire du Kampuchea - P.P.R.K. - (communiste), reconstitué dès janvier 1979. En 1981 sont élus successivement des comités populaires locaux (mars) puis une assemblée nationale (1er mai). Celle-ci adopte une Constitution (24 juin 1981). Le Comité populaire révolutionnaire cède alors la place à un gouvernement régulier. Heng Samrin cumule les fonctions de président du Conseil d'État (chef de l'État) et de secrétaire général du P.P.R.K. De nouvelles structures administratives, financières et économiques voient le jour. Des milices et une armée sont créées. Les industries et services publics restent nationalisés, mais l'agriculture et l'artisanat se partagent entre les coopératives et les entreprises individuelles. À partir du printemps de 1981, le pays est sorti de la situation critique dans laquelle il vivait depuis onze ans. Il n'en a pas pour autant retrouvé une activité normale, une certaine insécurité y subsistant et la reconstruction étant entravée par l'isolement et le véritable blocus auquel il est soumis par l'Occident et ses alliés.
Le gouvernement Heng Samrin n'a été reconnu que par une trentaine de pays (dont le Vietnam, le Laos, l'U.R.S.S., la République démocratique allemande, Cuba, l'Inde). L'intervention vietnamienne au Cambodge a en effet été jugée «inacceptable» par la Chine, l'Occident, les pays de l'A.N.S.E.A. (Association des Nations du Sud-Est asiatique: Malaisie, Indonésie, Singapour, Philippines et Thaïlande) et la majorité des Nations unies. L'O.N.U. de ce fait continue de reconnaître le régime Pol Pot comme le seul légitime, et le «Kampuchea démocratique» peut ainsi conserver son siège à l'Organisation. La Chine a décidé d'aider les Khmers rouges à poursuivre leur résistance à l'occupation vietnamienne. D'autres pays, en particulier ceux de l'A.N.S.E.A. qui entendent aussi obtenir le retrait des forces vietnamiennes du Cambodge, veulent y restaurer non pas Pol Pot mais un régime anticommuniste et pro-occidental. Pour pouvoir utiliser la structure légale du «Kampuchea démocratique», ils poussent à la constitution d'un gouvernement de coalition unissant les trois factions khmères hostiles au Vietnam (et à Heng Samrin).
Ce gouvernement (G.C.K.D.) est formé en juillet 1982 sous la présidence du prince Norodom Sihanouk, chef de l'État, avec Son Sann (F.N.L.P.K.) comme Premier ministre et Khieu Samphan (Khmer rouge) comme vice-Premier ministre chargé des relations extérieures.
Recherche d'une solution politique
La coalition, qui recrute ses partisans parmi les 300 000 réfugiés installés dans la région frontalière et qui bénéficie d'importantes aides étrangères (notamment chinoises), n'a pas ébranlé le régime de Phnom Penh et a même subi de sérieux échecs militaires. Au Vietnam qui, annonçant un retrait progressif de ses troupes, proposait à ses voisins des négociations sur la sécurité en Asie du Sud-Est, l'A.N.S.E.A. et la Chine ont répondu en exigeant, comme préalable à toute discussion, le retrait total des forces vietnamiennes du Cambodge. Par une pression constante, elles pensaient ainsi forcer Hanoi à évacuer. D'autre part, Pékin, ayant dès 1982 souligné que le Vietnam ne pouvait, sans l'aide de Moscou, se maintenir au Cambodge, faisait de l'arrêt de ce soutien une des conditions de la normalisation des relations sino-soviétiques.
Prenant conscience de l'impasse où la menait sa stratégie frontale, l'A.N.S.E.A. va chercher, à partir de 1983, à la combiner avec une action diplomatique. Malgré les réticences de la Thaïlande et de Singapour, l'Indonésie engage un dialogue avec Hanoi visant à obtenir le retrait vietnamien contre des garanties de sécurité et à favoriser une réconciliation entre factions khmères, prélude à une autodétermination sous l'égide des Nations unies. La route se révèle hérissée de difficultés, la Chine et les Khmers rouges, soutenus par Son Sann, s'opposant à toute négociation tant que l'armée vietnamienne se maintiendrait au Cambodge.
L'idée qu'une «solution politique» du conflit pourrait être trouvée dans un «gouvernement quadripartite de réconciliation nationale», venue du prince Sihanouk (au début de 1984), va faire son chemin même si, de part et d'autre, chacun va n'offrir, et conditionnellement, qu'un strapontin à l'adversaire. Approches et sondages entre les deux gouvernements cambodgiens et leurs amis respectifs s'avéreront difficiles.
La tendance au dialogue - direct ou par personne interposée - s'affirme toutefois, d'autant que l'Union soviétique de Gorbatchev, dans son désir de mettre fin aux conflits locaux où elle est impliquée et de normaliser ses relations avec la Chine, encourage désormais Hanoi à assouplir sa position. Incapable de redresser sa grave situation économique sans mettre fin au blocus dont il est l'objet depuis son occupation du Cambodge, le Vietnam est contrait de réviser ses priorités. Phnom Penh paraît d'ailleurs capable de jouer désormais un jeu autonome. Hun Sen, qui est devenu Premier ministre le 14 janvier 1985, se dit prêt à négocier avec Sihanouk, mais à condition qu'il se sépare des Khmers rouges.
Dès 1985, des formules sont recherchées pour mettre sur pied un «gouvernement de réconciliation nationale». Finalement, en décembre 1987, Sihanouk pourra rencontrer Hun Sen en France (à Fère-en-Tardenois) et esquisser avec lui les principes d'une solution politique qu'il reste à trouver, sinon entre les quatre factions, du moins entre les deux entités concurrentes. L'opposition de ses partenaires (Son Sann et les Khmers rouges) et de Pékin va encore pendant des mois bloquer la négociation, malgré les patients efforts de l'Indonésie pour organiser des «rencontres informelles» à Djakarta (juillet 1988, février 1989).
Le 3 novembre 1988, l'Assemblée générale de l'O.N.U. vote une résolution (proposée par l'A.N.S.E.A.) résumant les bases d'un «règlement politique d'ensemble»: retrait vérifié des forces étrangères, mise en place d'une «autorité administrante provisoire», promotion de la réconciliation nationale sous l'égide de Sihanouk, «non-retour aux politiques et pratiques universellement condamnées» (c'est-à-dire le génocide), respect de l'indépendance et de la neutralité du Cambodge comme du droit du peuple cambodgien à l'autodétermination.
Si les puissances étrangères intéressées se mettent d'accord sur ce cadre général, les factions khmères ne s'entendent ni sur la composition et les fonctions de l'administration de transition, ni sur le moment du démantèlement des deux gouvernements en conflit (R.P.K. et G.C.K.D.), ni sur la façon de préparer et de contrôler les élections générales prévues. Aussi une conférence internationale, prématurément convoquée à Paris, doit être ajournée, au moment même où les forces vietnamiennes achèvent d'évacuer le Cambodge (26 septembre 1989). Loin de s'effondrer, comme d'aucuns le prévoyaient, le régime de Phnom Penh va résister efficacement à l'offensive politico-militaire que la coalition adverse, très sûre d'elle-même, a déclenchée aussitôt. Le risque d'une longue guerre civile surgit à l'horizon.
Bientôt, sous la pression de certains de ses «sponsors», Sihanouk rencontre de nouveau Hun Sen (le 5 juin 1990 à Tōkyō) et convient avec lui de former, cette fois sur une base bipartite (Phnom Penh et G.C.K.D.), un Conseil national suprême (C.N.S.), symbole de l'unité et de la souveraineté cambodgiennes, symbole de réconciliation également. Le siège à l'O.N.U. lui est attribué dès octobre 1990. Un plan, élaboré et adopté par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et confiant à l'O.N.U. la charge de préparer des élections générales libres au Cambodge, sera finalement accepté par les quatre parties cambodgiennes au cours de l'été de 1991. Le 23 octobre 1991, l'accord international sur le Cambodge est signé lors de la conférence de Paris (coprésidée par la France et l'Indonésie). Sihanouk, président du Conseil national suprême, revient le 14 novembre à Phnom Penh, où va désormais se réunir le C.N.S. et où des forces de l'O.N.U. vont venir mettre en œuvre l'accord conclu.
En attendant que commence la «phase transitoire», le gouvernement Hun Sen, qui a adopté l'économie de marché, rétabli le bouddhisme comme religion d'État et assoupli les structures politiques, continue de contrôler la plus grande partie du territoire. La corruption, le banditisme et l'insécurité économique décomposent cependant le pouvoir à tous les niveaux, favorisant un retour de l'influence des Khmers rouges, notamment dans les régions rurales. Le P.P.R.K., redevenu le Parti populaire (Prachacheon), se prépare, quant à lui, sous la direction de Hun Sen et de Chea Sim, à la grande confrontation politique avec ses divers concurrents.
Le 28 février
1992, le Conseil de sécurité de l'O.N.U. a adopté une
résolution donnant le coup d'envoi à la «prise en charge»
du Cambodge par l'Organisation. Elle doit organiser des élections libres
et loyales destinées à permettre la constitution au Cambodge,
en 1993, d'un gouvernement représentatif. Ce retour à une légitimité
indiscutable est censé mettre fin, en principe, à près
d'un quart de siècle de guerre civile.
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